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J’avais 30 000 wishlists... et j’ai vendu 1 000 copies

Il était une fois un développeur ravi. Son jeu indé avait attiré l’attention, les retweets pleuvaient, les TikToks faisaient des vues, et sa fiche Steam culminait à 30 000 wishlists. L’équipe fêtait l’événement, convaincue d’avoir atteint un seuil critique. Le lancement approchait, et tout semblait prêt pour un joli succès.
Mais une semaine après la sortie, le verdict tombe : à peine 1 000 ventes. Soit un taux de conversion de 3,3%, bien en dessous de toutes les moyennes attendues.
Ce scénario, loin d’être une fiction, est devenu une réalité fréquente dans l’écosystème Steam.
Dans cet article, on va disséquer les raisons derrière ces écarts, décortiquer les chiffres, explorer les cas concrets (comme The Cabin Factory ou Liar’s Bar), et surtout comprendre pourquoi la wishlist Steam est un indicateur à manier avec précaution.

Comprendre le fonctionnement des wishlists Steam

Depuis des années, la wishlist Steam est considérée comme un baromètre essentiel pour évaluer l’intérêt autour d’un jeu. Mais que mesure-t-elle vraiment ? Et surtout : comment agit-elle sur la visibilité du jeu dans l’écosystème Steam ?

Popular Upcoming, Discovery Queue & co : les “boosters” internes de Steam

La wishlist influence directement plusieurs mécanismes internes de Steam :

  • “Popular Upcoming” : cette section met en avant les jeux avec un volume de wishlists élevé, surtout à l’approche de leur sortie. Même s’il n’existe pas de seuil “officiel”, atteindre 7 000 à 10 000 wishlists est souvent cité comme déclencheur.
  • “Discovery Queue” : ce flux algorithmique personnalisé peut s’activer suite à un spike massif de wishlists (estimé entre 1 500 et 4 000 en quelques jours). Il apporte des dizaines de milliers d’impressions.
  • “New & Trending” : contrairement aux idées reçues, cette vitrine est basée sur les revenus générés, pas sur les wishlists. Une forte wishlist ne suffit pas : il faut vendre, et vite.

L’effet viral externe est la nouvelle clé d’entrée

Aujourd’hui, Steam ne suffit plus. Les wishlists qui comptent viennent souvent de sources externes : TikTok, Twitter/X, Reddit, trailers diffusés lors de gros événements. Ces plateformes déclenchent les spikes nécessaires pour alimenter les algorithmes de Steam.

Exemple : The Cabin Factory a vu sa fiche Steam exploser après trois vidéos virales en moins de quatre jours. Résultat : +20 000 wishlists organiques en 10 jours, sans pub.

Conversion wishlist → ventes : les vraies stats (2024-2025)

Les devs aiment se rassurer avec une formule simple :

10 000 wishlists = 1 000 ventes la première semaine. Mais la réalité est bien plus nuancée.

La grande photo Benchmarks GameDiscoverCo

Selon les données 2024-2025 de GameDiscoverCo, voici les tendances observées :

  • Conversion médiane semaine 1 : environ **10,5% **pour les jeux lancés entre août et octobre 2024 (ce taux peut monter à 15% pour les titres avec plus de 25 000 wishlists, mais reste très variable selon la source et la méthode d’estimation)
  • Conversion mois 1 : le modèle Fellow Traveller propose une projection optimiste de 20% de conversion sur le premier mois, mais GameDiscoverCo reste plus prudent, avec une médiane réaliste autour de 13-14%
  • Top performers : certains jeux atteignent des conversions de 100% à 500% (souvent viraux, ou très attendus).
  • Bottom 10% : conversions inférieures à 2%.

Autrement dit, 30 000 wishlists peuvent aboutir à 300 ventes… ou à 15 000. Tout dépend du jeu, du public, et du contexte de lancement.

Ce qui booste (ou tue) les conversions

Les données croisées montrent plusieurs tendances fortes :

  • Reviews positives : les jeux avec +90% de reviews positives dépassent largement la moyenne.
  • Attente modérée : les jeux qui restent sur Steam plus de 400 jours avant leur sortie perdent de l’engagement.
  • Suites de franchises : souvent, les joueurs achètent les anciens opus en promo au lieu du nouveau.
  • Genres de niche : les visual novels romantiques, jeux de stratégie politique ou RPG rétro top-down ont souvent un écart wishlist/vente élevé.

Faux signaux et wishlists “artificielles”

Certains jeux explosent artificiellement leurs wishlists via des giveaways de clés, des concours ou des campagnes douteuses. Dès lors, des milliers de joueurs wishlistent... sans aucune intention d’achat.

Dans un exemple documenté, un jeu avec 100 000 wishlists n’a vendu que 1 000 copies la première semaine. Soit 0,1% de conversion.

Ainsi, la provenance des wishlists compte plus que leur quantité brute, un peu comme un nombre d'abonnés sur Insta.

Étude de cas : The Cabin Factory, la viralité maîtrisée

En octobre 2024, un petit jeu d’horreur développé par un duo inconnu a défrayé la chronique. Sans budget marketing, sans attaché de presse, sans éditeur, The Cabin Factory a réussi à générer plus de 30 000 wishlists en quelques jours, et à convertir quasiment 100% de ces intentions en ventes dès la sortie.

Un pitch parfait, sans artifice

Le concept du jeu tenait en une phrase :

“Inspecter des cabanes. Signaler si elles sont hantées. Ou non.”

C’est simple, visuel, et immédiatement compréhensible.

Le trailer, très court, a capitalisé sur une esthétique horror 3D lo-fi, dans l’air du temps. Mais surtout : aucun lien marketing dans les premiers posts Twitter/X ou TikTok. Et, les algorithmes les ont favorisés, jugeant le contenu “naturel”.

L’effet boule de neige sur les réseaux

  • Premier tweet : 3M vues, 63 000 likes, +4 000 partages
  • TikTok (J+1) : 1,4M vues, 213 000 likes
  • Deuxième TikTok (J+3) : 1,2M vues, +120 000 likes

En moins de 4 jours, le jeu passe de l’anonymat au buzz. Les wishlists explosent. Steam remarque les spikes, et déclenche le Discovery Queue, et dope encore la visibilité.

Un quasi sans-faute

  • Wishlists au lancement : ~30 000
  • Ventes semaine 1 : 30 000+
  • Conversion : ~100 %
  • Reviews : “Very Positive”
  • Twitch : +373 000 heures vues, relayé par des streamers comme LIRIK, ironmouse, etc.

Un exemple parfait de viralité authentique, ciblée, et bien timée, où chaque levier (pitch, format, réseau, timing) a joué en parfaite synergie.

Les profils de jeux qui performent... ou pas

Ce que montre The Cabin Factory, c’est que le succès ne dépend ni du budget, ni d’une fanbase installée. Mais alors, quels types de jeux convertissent réellement en 2025 ?

Genres à forte conversion (données consolidées 2024-2025)

Puzzle cozy, point & click immersifs
Horreurs psychologiques en vue subjectiveJeux de destruction arcade (type Bomberman)
Idle/clicker games avec mécanique de gestion

Ces jeux ont un public naturellement enclin à acheter, souvent en solo, avec un prix accessible, et une mécanique facile à présenter en 15 secondes de vidéo.

Genres à faible conversion

❌ **Visual novels romantiques **
City builders “excentriques”
Jeux de stratégie politique ou tactiques lourds
RPG rétro pixel-art “sombres”

Ces jeux attirent souvent des wishlists “curieuses”, mais leur conversion est faible — soit par manque de différenciation, soit par une barrière d’entrée trop haute.

D’autres variables déterminantes

  • 🔁 Temps passé en wishlist : >400 jours = risque de désengagement.
  • 💸 Positionnement prix : les jeux entre 3€ et 12€ convertissent mieux que les “mid-price” à 20-25€.
  • Notes Steam : +90 % de reviews positives = boost majeur dans la Discover Queue et les ventes.

Le marché Steam en 2025 : concurrentiel, mais pas saturé

Avec près de 19 000 jeux sortis sur Steam en 2024, dont 80% n’ont jamais dépassé le statut “Limited” (c’est-à-dire sans revenus ni engagement significatif), on pourrait croire à une saturation du marché. Et pourtant, la demande est toujours là, simplement... l’attention est devenue plus difficile à capter.

Des chiffres impressionnants... et trompeurs

  • Plus de 132 millions d’utilisateurs actifs mensuels sur Steam.
  • Environ 15 000 nouveaux jeux en 2024 = ~1 250 par mois.
  • Mais seuls 4 000 titres ont franchi les seuils de visibilité et de revenus.

Autrement dit, le marché n’est pas saturé en utilisateurs, mais saturé en offres invisibles. Ce n’est pas la taille de la scène, c’est la difficulté d’y monter.

Le poids du back catalogue

Autre point clé : les anciens jeux captent toujours une grosse part de l’attention. Par exemple, Hearts of Iron IV, lancé en 2016, continue d’attirer une base solide de joueurs, avec des pics autour de 60 000 CCU fin 2024, preuve que certains titres continuent à performer longtemps après leur sortie.

Cela signifie que chaque nouveau jeu ne se bat pas seulement contre les autres nouveautés, mais aussi contre les classiques soldés, les live services établis, et les jeux de niche qui restent actifs.

Au-delà des chiffres : ce que les wishlists ne vous disent pas

La wishlist est un signal utile... mais pas une boule de cristal.
Beaucoup de studios la considèrent à tort comme une précommande déguisée, alors qu’elle est plus proche de l’intention d’achat floue.

L’intention ≠ l’action

Un joueur qui ajoute un jeu à sa wishlist peut le faire :

  • par simple curiosité (visuel sympa, trailer intrigant)
  • pour plus tard (lors d’une promo !)
  • par automatisme (vu dans un tweet, clic rapide)

Or, entre “j’aimerais” et “j’achète”, il y a un monde. Et ce monde dépend de la note des premiers avis, de la fluidité du lancement, du prix, et de l’offre concurrente à ce moment-là.

Mauvaise lecture des signaux

Certains studios pensent que “10 000 wishlists = seuil de succès minimum”. C’est faux. Ce chiffre est un seuil de visibilité, pas un gage de conversion.

Plus grave : certains gonflent leurs wishlists par tous les moyens (giveaways, concours, bots) sans se soucier de la qualité des leads. Cela revient à remplir un panier de prospects froids, qui n’achèteront jamais.

La part d’aléatoire sera… toujours là !

Même les jeux avec un bon pitch, une belle présentation et une base de wishlists solide peuvent échouer. Et parfois, un jeu obscur sort de nulle part (Liar’s Bar, Karate Survivor, etc.) et explose tout grâce à un streamer, une blague virale, ou un effet de timing parfait.

Le marché reste “hit-driven” : la majorité des revenus sont concentrés sur quelques jeux. Et cette logique s’accélère chaque année.

Quelles recommandations en tirer pour les devs et éditeurs ?

Face à un marché aussi volatile et sélectif, les studios — petits ou grands — doivent adopter une approche plus stratégique que jamais.

Voici les meilleures pratiques à retenir pour maximiser les conversions wishlist → ventes en 2025.

🎯 1. Définir des objectifs réalistes selon votre genre

Tous les jeux ne visent pas les mêmes ratios :

  • Jeux casual / cozy → conversion potentielle de 25-40%
  • Visual novels, RTS ou jeux de niche → viser 10-15%
  • Nouveaux studios sans base : mieux vaut viser 3-5k wishlists de qualité que 20k non qualifiées

Utilisez les outils de prédiction comme :

  • GameDiscoverCo Basic Predictor (basé sur le prix et les wishlists)
  • Fellow Traveller Sales Model (plus complet, mais genre-spécifique)

🧩 2. Optimiser le pitch (fiche Steam + trailer)

  • Thumbnail clair et intrigant
  • Pitch en 1 phrase, facile à comprendre (ex : “Détruisez tout dans un open world en voxel”)
  • Trailer < 90 secondes, montage dynamique
  • Tag Steam précis et cohérent avec les attentes du public

🔄 3. Créer du trafic organique avant de dépendre de Steam

  • Lancez vos vidéos sur TikTok / Reels sans lien Steam au début (meilleure portée)
  • Activez les communautés Reddit, Discord, niche Twitter
  • Recherchez le bon angle viral : humour, horreur, gameplay satisfaisant, esthétique unique

📅 4. Ne restez pas 2 ans en “coming soon”

  • 400+ jours d’attente = risque de lassitude
  • L’idéal est l'ouverture de la page 6 à 12 mois avant la sortie
  • Teasers légers → trailer solide → démo (Next Fest ou non) → lancement

✅ 5. Surveillez vos metrics internes

  • Observez les sources des wishlists dans Steamworks (organique, liens externes, événements)
  • Évitez les spikes suspects (ex : concours de clés massifs)
  • Lisez les signaux : si vos wishlists viennent d’un “deal” sans engagement = fuite future assurée

La wishlist Steam n’a jamais été un chiffre magique. Mais en 2025, elle devient un indicateur multi-facettes : elle reflète à la fois la qualité de votre marketing, la clarté de votre positionnement, et la manière dont vous captez l’attention des joueurs dans un écosystème saturé... de bonnes idées.
Avoir 30 000 wishlists, c’est bien.
Mais avoir 3 000 personnes réellement prêtes à acheter, c’est mieux.

Dans un monde où l’algorithme de Steam, les réseaux sociaux et les tendances de genre se croisent en permanence, la clé du succès reste la même : créer quelque chose qui mérite d’être acheté... et pas juste cliqué.